Trois ans après leur excellent Deceiver qui marquait leur belle renaissance, DIIV rappelle à tout le monde la beauté et la fragilité, la puissance et l’émotion de leur univers musical…
Vous avez ressorti récemment votre premier album, Oshin. Le disque est agrémenté de démos, d’enregistrements live, d’un titre inédit, mais aussi de notes et de photos. Qu’est-ce que cela vous a fait de revisiter cet album, dix ans plus tard ?
Zachary Cole Smith : C’est assez fun et intéressant. Quand on crée, il est toujours difficile d’avoir une vision objective de ce que l’on fait. On l’a réécouté avec une oreille neuve et surtout après avoir beaucoup appris.
Colin Caulfield : C’est assez intéressant qu’il ressorte alors que nous sommes en train de faire une tournée principalement pour Deceiver. Pendant longtemps on a eu cette relation un peu bizarre avec Oshin. On avait l’impression d’être constamment ramenés à lui, y compris en concert. Et là notre dernier album a été reçu tellement bien et le public est si excité quand on joue nos nouvelles chansons que c’est plus facile pour nous de revisiter Oshin. Maintenant c’est un album qu’on trouve beau. On est heureux de jouer ses chansons aussi parce qu’on a l’impression de ne pas être obligés de le faire d’une certaine manière.
Vous avez rejoué Oshin dans son intégralité sur scène, en y ajoutant des morceaux postérieurs. Cela vous a fait quoi de faire s’entrechoquer ces chansons d’ères différentes ?
Colin Caulfield : Jouer Oshin était assez émouvant, réjouissant et beau. On avait découpé ces concerts en deux temps : d’abord Oshin puis dans une deuxième partie des chansons ultérieures. Et ça nous a révélé que le public était aussi excité d’écouter les unes que les autres. Un équilibre s’est créé.
Zachary Cole Smith : Oshin correspond à une période de la vie de nos fans et ça les touche. Les chansons ultérieures ont un impact différent : elles correspondent à là où ils en sont aujourd’hui. Ces concerts étaient un peu cathartiques. On a tous réalisé qu’on avait grandi, eux comme nous. C’était une expérience collective.
Cole et Colin, vous avez récemment coécrit deux chansons avec John Cudlip, de Launder : Unwound et Chipper. Comment est née cette collaboration ?
Zachary Cole Smith : John est un de nos vieux amis. J’avais déjà écrit avec lui plusieurs chansons de son premier EP. Là c’était juste pour s’amuser. Et puis, dans la musique, quand on atteint un certain niveau, on a l’impression que les enjeux deviennent plus élevés, peut-être trop. On se dit que la prochaine chanson qu’on doit sortir se doit d’être absolument géniale pour telle ou telle raison. On perd alors une forme d’innocence professionnellement, cette dimension désintéressée et simplement fun de faire de la musique. Pour Colin et moi, cette collaboration a donc été comme une forme d’exutoire. On s’est simplement dit qu’on allait passer une journée à composer une chanson et prendre du bon temps. Et cela nous a ramené à cette forme d’innocence dont je parlais.
Cette perte d’innocence est dure à accepter ?
Zachary Cole Smith : Seulement si on se lamente dessus.
Colin Caulfield : Si tu en es conscient tout le temps, si tu ne cultives pas une forme d’optimisme ou que tu ne regardes pas devant toi, oui, cela peut être très douloureux.
Zachary Cole Smith : Quand on ne veut pas se prendre la tête avec les enjeux, on fait de la musique pour nous et rien que pour nous. On fait des démos, on se les envoie. Mais c’est différent. Quand on a déjà sorti plusieurs albums, qu’on construit une forme de catalogue, les attentes vous concernant sont différentes et c’est simplement plus difficile d’essayer des choses, juste comme ça. Ce n’est pas fondamentalement une mauvaise chose par ailleurs car cela vous oblige à affiner encore votre art.
Deceiver, votre dernier album en date, était différent des deux premiers. Le son n’était pas exactement identique. Il n’avait pas été écrit et produit de la même manière que les précédents. Il donnait l’impression de marquer une nouvelle ère pour DIIV. A l’heure actuelle, vous êtes encore dans cette ère ou est-ce que vous avez bougé ?
Andrew Bailey : J’ai l’impression que nous avons bougé, que c’est un nouveau chapitre. On travaille avec un nouveau producteur, notre process a un peu changé.
Ben Newman : On n’a pas abandonné le process de Deceiver mais il y a une évolution.
Colin Caulfield : C’est un peu bizarre parce que le cycle Deceiver a été d’une certaine manière interrompu par la pandémie. Je suis d’accord sur le fait qu’on a peu bougé, qu’on travaille sur un nouvel album, lequel sonne différemment. Mais on a été malgré nous replongé dans l’ère Deceiver. Tous ces concerts et cette tournée, on devait les faire à l’époque ! On est donc dans une sorte d’entredeux. Habituellement quand on travaille sur un nouvel album, on a vraiment l’impression d’avancer, de passer un cap. Mais là, on a presque l’impression que tout se réarrange et se mélange.
Zachary Cole Smith : C’est comme parfois ces constructions dans les romans. On passe de chapitre en chapitre et tout d’un coup, il y a l’inscription « Deuxième partie ». Deceiver représente un peu ça. Il y a eu une forme de renaissance du groupe avec cet album. De ce point de vue, on est encore dans cette ère.
Andrew Bailey : Même acte, chapitre différent.
Deceiver avait donc un son différent des précédents albums. Le premier single, Skin Game, était sorti des mois avant. Vous saviez qu’il allait introduire cette différence. Pourquoi l’avoir choisi lui ? Parce que c’était la meilleure manière d’introduire ce nouveau son ?
Zachary Cole Smith : Il était un peu des deux mondes. Il introduisait ce son nouveau et en même temps créait un lien avec les anciennes chansons. Il contenait toujours cette mélodie avec une note unique. Il sonnait comme le même groupe. Mais parfois choisir une chanson comme single vient tout juste du fait qu’on pense que la chanson est bonne.
Ben Newman : C’est amusant parce que ça nous a beaucoup appris sur la stratégie de sortie des singles. Pour Deceiver on a sorti trois singles. Le premier était donc Skin Game avec ses accents pop. Le second était Taker, un peu plus lourde et lente. Et le troisième, Blankenship, on savait que c’était le gros ! Mais comme on avait déjà sorti deux singles, pas un seul des gros médias n’a vraiment suivi la sortie de Blankenship. De notre point de vue, cela a été une expérience un peu triste. On avait eu l’impression de garder le meilleur pour la fin mais cela s’est avéré une erreur.
Zachary Cole Smith : Avant il y avait cette règle. Le premier single attire l’attention. Le second t’emporte dans l’univers musical du groupe. Et le troisième, censé sortir juste avant l’album, cimente l’attention et l’excitation pour le disque. Avant ça se passait ainsi et cela avait toujours été mon expérience. Mais l’industrie avait déjà changé, elle change encore d’ailleurs, et on a eu tort.
Quand Deceiver est sorti, vous déclariez qu’il fallait trouver la bonne idée avant de faire le suivant. Avez-vous trouvé cette bonne idée ?
Zachary Cole Smith : Ce qui est marrant c’est que je me rappelle qu’on revenait chaque jour du studio et qu’on débriefait. On se disait alors qu’on pouvait refaire un album comme celui-là dans la foulée sans difficulté. On pouvait refaire un disque comme Deceiver facilement parce que c’était fun et organique. Ensuite on est parti en tournée et il y a eu le Covid. On était obligé de rester à la maison, isolés. Et là l’idée de refaire un album de cette manière, avec une fabrication organique et presque live, était si distante, étrangère. Dès ce moment-là, il y a eu un changement d’état d’esprit. Pour répondre à votre question, l’idée que nous avions à l’époque pour l’album suivant ne s’est pas réalisée. Mais depuis nous en avons trouvé une autre.
Vous avez été assez clairs, notamment sur les réseaux sociaux, sur la situation financière difficile des musiciens. Vous avez retweeté un article sur un service de streaming musical qui ne rémunère pas suffisamment les artistes. Vous avez soutenu un groupe qui expliquait notamment que le cachet des concerts ne couvraient pas les dépenses de déplacement. Selon vous, que peut-on faire pour améliorer la situation des musiciens ?
Zachary Cole Smith : La musique est une part fondamentale de l’humanité. C’est une pièce essentielle de la vie. Il faut donc réfléchir à sa valeur, pour ceux qui la font et en vivent. Faire un album, c’est du temps, du travail et un argent démentiel. Quand cet album arrive sur Spotify, il devient une simple donnée pour vous vendre leur algorithme. Il existe bien une forme de glorification de l’artiste fauché ou à la peine mais cela ne sert personne. J’ai bien des idées pour rendre le monde musical plus utopique. Beaucoup de gens seraient étonnés de voir ce qu’un artiste, en tout cas beaucoup d’entre eux, touche réellement en fin de compte. Une grosse partie de l’argent généré ne lui revient pas.
Propos recueillis par Thomas Destouches
Crédit photo : Olivier Hoffschir