De l’étoffe des héros : l’année dernière Flavien Berger a empoigné le témoin de la musique électronique française un peu délaissé depuis vingt ans, pour plonger au plus profond des océans de synthétiseurs et de câbles audio colorés et reliés ou pas entre eux.
Son retour en surface fut triomphal, et le fruit de ses trouvailles baptisé « Leviathan », un premier album en guise de carnet d’explorations. Par cette mise en abîme de soi, Flavien Berger s’est recréé en homme-machine, en humain augmenté de claviers dont seule la voix claire conserve le génotype originel. De la poésie déposée sur les interstices de programmes informatiques, comme dans un fascinant roman d’anticipation qui ferait apparaître Rebotini, les héros du krautrock, Zombie Zombie et le Groupe de Recherches Musicales.
Nous avons rencontré Flavien Berger.
« Leviathan », c’est un album mais c’est aussi une série de clips, particulièrement étranges, hypnotiques, déroutants, qui ont été dévoilés au fil des mois. Comment est née ce projet de faire un prolongement vidéo de votre musique
Flavien Berger : Je travaille avec Robin Lachenal, qui a réalisé le clip de La Fête Noire. On s’est dit tous les deux que ce pourrait être intéressant d’inviter des gens à mettre en scène tel ou tel morceau. On s’est vote pris au jeu de cette expérience collective. On a donc appelé des amis en leur confiant des chansons qui étaient finalement autant de chantiers à réinvestir. On ne leur a rien imposé, si ce n’est un tout petit dogme, à savoir faire apparaître des éléments particuliers, qui sont ceux du disque et agissent comme des portails vers les autres morceaux : le chiffre 8, la flaque… Je ne me suis pas dit en sortant ce disque qu’on allait tout « clipper » mais cela s’est fait de manière collective au fur et à mesure, animé par une grande curiosité.
Un clip peut être une réinvention ou une interprétation, mais peut parfois aussi tomber dans le piège de la mise en images un peu « plan plan ». Là il y a une vraie volonté de créer quelque chose de différent, d’offrir une nouvelle dimension à la chanson. Est-ce que cette re-création vous a permis de redécouvrir votre musique ?
Oui, absolument ! Ce sont des terrains sur lesquels je ne serais jamais allé et en cela, c’est super intéressant. Je redécouvre ma musique. C’est comme une traduction : tu prends un texte, tu le traduis avant de le remettre finalement dans la langue originale. Le matériau d’origine change forcément. C’est la magie de la création à plusieurs.
Pourquoi ne pas apparaître dans vos clips ?
Tu parlais des clips qui n’étaient que de l’illustration. C’est exactement le piège. Dans les premiers clips des années 70, les chanteurs faisaient du playback. Le public savait qu’ils ne chantaient pas vraiment. Ce décalage est gênant. Je ne dis pas que je le ferai jamais mais pour le moment je n’y ai trouvé aucun sens, et encore moins avec le timbre de ce disque. Je n’apparais pas dans ces vidéos parce qu’on ne parle pas de moi mais bien de musique, de création et d’univers. On ne propose pas de lifestyle, je ne suis pas un rappeur. Mais il existe aussi des expériences géniales comme le clip de Bruce Springsteen pour sa chanson Streets of Philadelphia.
Au-delà des images, ta musique a une vraie dimension cinématographique. Comme si elle était une sorte de bande-originale de la vie…
Quand j’ai eu de quoi faire des playlists, les morceaux que je sélectionnais et que je gardais étaient ceux que je pouvais écouter de manière embarqué et qui me faisaient vivre une vie un peu plus épique ou plus intrigante. Donc ces playlists contenaient aussi des bandes originales de films mais aussi des chansons qui embarquent. Le premier disque que j’ai sorti, un EP chez Pan European Recording (ndlr : Mars balnéaire), était un long morceau de musique que j’avais composé pour un ami qui courait. C’était de la musique appliquée pour être vécue en live. C’est quelque chose que j’ai gardé jusqu’ici.
A quand une composition pour un film ?
J’ai déjà composé pour le documentaire ou le court métrage (ndlr : notamment pour Le Repas Dominical de Céline Devaux) mais, c’est vrai, pas encore pour un long métrage. J’aimerais beaucoup. Mais je vais d’abord faire un disque avant… (rires)
Quelle est la plus belle bande originale de film ?
De « plus belle » je ne sais pas, mas certaines m’accrochent vraiment. Je pense notamment à celle de Basic Instinct, composée par Jerry Goldsmith. Le thème est incroyable. Mais je pourrais aussi citer la composition de Nicolas Jaar pour le dernier Jacques Audiard, Dheepan, ou celle de Jon Brion pour Eternal Sunshine of the Spotless Mind, qui reflète le bricolage du film.
Et y a-t-il en ce moment une chanson que vous écoutez pour la bande originale de votre vie ?
Vapor Waves 07, de Donato Dozzy. C’est un morceau très simple, une litanie très mélancolique. Pour écrire, il m’arrive souvent de mettre Waltz for Debby de Bill Evans. J’écoute aussi beaucoup de musique répétitive, Philip Glass et surtout Brian Eno, car j’aime beaucoup son travail sur l’ambiance. Eno accompagne ma vie de façon hebdomadaire.
Propos recueillis par Thomas Destouches