Hey Djan : “Il fallait faire sortir cette musique des restaurants ou des mariages !”
Né durant le confinement sous l’impulsion du musicien Adrien Soleiman, le projet Hey Djan consiste à revisiter et moderniser des chansons populaires et traditionnelles arméniennes. Après avoir écouté leur premier EP, vous comprendrez vite que le pari est entièrement réussi…
Quelle est l’origine du projet Hey Djan ?
Adrien Soleiman : Je suis marié avec une française d’origine arménienne. Comme j’aime le dire : « Les Arméniens, soit on prend rien, soit on prend tout. » C’est un package. J’ai donc pris la musique, entre autres. Et en tant que musicien professionnel, je me dois d’être curieux et de rechercher de nouvelles musiques. Cela fait partie de mon travail. Et là j’ai découvert tout un répertoire, notamment de musique populaire de la diaspora, sur lequel j’ai flashé. Et ça, entrecoupé de mariages arméniens, avec des groupes de bal qui m’ont impressionné et toute cette ferveur des gens en train de danser, je me suis dit qu’il y avait clairement un truc à faire. Mais je voulais l’approcher sous l’angle « concert » et non pas « animation. » Pendant le premier confinement, comme je n’avais rien à faire, je me suis dit qu’il fallait concrétiser mon idée, qu’il fallait faire quelque chose de fun pour contrecarrer la tristesse du moment. J’ai alors appelé mon frère, Maxime Daoud, qui est bassiste, Arnaud Biscay, qui est batteur, et Adrian Edeline, qui est guitariste. On a choisi des morceaux, des reprises donc, avec l’aide de deux potes arméniens. On a d’abord enregistré la musique, parce que j’avoue qu’au départ j’ai eu du mal à trouver des chanteurs. Et puis finalement, je les ai trouvés, notamment Anaïs ici présente. On vient de sortir un premier clip (« Yerevani Siroon Aghchig »), qui est une chanson très triste, composée pendant la guerre contre l’Azerbaïdjan. Cela a fait flasher des gens, et voilà…
Est-ce que, lorsque vous vous réappropriez ces chansons populaires et traditionnelles, vous vous mettez une limite ?
Adrien Soleiman : Non ! Les chansons que l’on reprend sont en réalité transformées. Elles sont déjà le résultat d’une fusion, prenant racine dans la diaspora. Chaque artiste passé avant nous sur ces titres a posé sa marque, modifié quelque chose, truqué la chanson d’origine, fait sa proposition. Tout le monde fait un peu ce qu’il veut et c’est bien justement. Donc aucun complexe et aucune limite. Quand j’ai dit aux gens de la communauté arménienne, ma belle-famille et les anciens qu’on allait réinterpréter ces chansons, qu’ils connaissent déjà, ils m’ont dit que ça n’allait intéresser personne ! Mais j’étais assez sûr de mon coup. Je savais que ça allait plaire parce que le matériel de base, c’est du beurre. Les chansons sont mortelles, leurs mélodies comme leur énergie. Pour moi, c’était évident que c’était de l’or en barre et qu’il fallait l’utiliser et le faire découvrir aux gens. Je savais aussi que ceux qui en avaient envie iraient ensuite découvrir les anciennes versions.
Les trois chansons de votre premier EP sont très différentes les unes des autres. Djeyrani Bes est une balade, Yerevani Siroon Aghchig se révèle un peu plus rock et Zokanch fait penser à une fanfare. Le fil conducteur de ces trois chansons est l’utilisation d’instruments traditionnels. Étaient-elles déjà dans cette teinte sonore avant que vous ne vous en empariez ?
Adrien Soleiman : Plutôt. Surtout Djeyrani Bes pour laquelle on est assez proche de la version qu’on aimait, qui est une interprétation d’un arménien d’Iran qui s’appelle Adiss Harmandian et qui s’est exilé ensuite aux Etats-Unis. Il faisait toutes ses chansons dans un ton un peu tarantinesque, un peu western. Si je ne me trompe pas, il travaillait beaucoup avec des orchestres mexicains pour des raisons d’économie. Il avait donc cette teinte américaine, très bizarre au fond. C’est aussi ça qui est cool avec ce phénomène de diaspora musicale. Selon là où ils étaient, les sons étaient mélangés entre ce qu’ils amenaient d’Arménie et ce qu’ils trouvaient dans les pays d’accueil. Que ce soit Beyrouth ou Los Angeles, en Iran ou en Turquie, ce n’est jamais la même chose. Cela donne ces richesses. Quant à Yerevani Siroon Aghchig et Zokanch, on les a bien musclés.
Anaïs Aghayan : Même pour nous, retrouver la plus vieilles version d’une chanson est assez compliqué. Mais on cherche, on essaie de les écouter toutes. Certaines sont très différentes les unes des autres. Aujourd’hui par exemple on va chanter Hoy Nazan. Il existe une version liturgique, sans doute l’originale d’ailleurs, très éloignée de la nôtre. C’est logique, cent ans se sont passées entre les deux.
Est-ce que, culturellement, des chansons étaient davantage pour des hommes et d’autres pour des femmes ? Et est-ce que vous avez essayé de bouger un peu les lignes ?
Anaïs Aghayan : Bien sûr ! Zokanch a été écrite et composée par Harout Pamboukjian dans les années 80. Le texte parle d’un mari évoquant en des termes pas forcément élogieux de sa belle-mère… (rires) On l’a réécrite et on y a introduit une réponse à ce mari. C’est une mise à jour. C’est la même chose pour Yerevani Siroon Aghchig. À chaque fois, c’est comme une version 2.0, on réécrit intentionnellement pour avoir cet équilibre d’une interprétation de et en 2022. On ne va pas se le cacher, je le sais puisque je suis arménienne, il y a un grand machisme dans la communauté. Regardez le clip original de Zokanch ! Heureusement il s’estompe. On a fait ce travail de réécriture parce que vraiment c’était important de dépoussiérer jusqu’au bout.
Est-ce que faire ces chansons dans des festivals, comme Rock en Seine, et non plus dans des bals par exemple, participe aussi à cette réappropriation ?
Adrien Soleiman : T’as raison. Cela participe à l’ouverture de départ, à cette volonté de faire découvrir cette musique au plus grand nombre. Elle sort des restaurants, des soirées ou des mariages arméniens. Il faut sortir cette musique de la communauté et montrer à cette dernière que d’autres personnes peuvent l’aimer.
À l’origine vous êtes architecte. Comment êtes-vous devenue chanteuse ?
Anaïs Aghayan : Je suis toujours architecte ! (rires) Je suis devenue également chanteuse un peu par hasard. C’était pendant le confinement. On se connaît tous dans la communauté et il se trouve que la femme d’Adrien est une amie d’enfance. Quand Adrien a épousé Taline, il a rencontré également tous mes amis d’enfance. À cette époque, j’étais à l’étranger. J’y suis restée dix ans, j’avais donc un peu perdu contact avec la communauté de France. Je suis rentrée pour le confinement et là mon ami Greg me contacte et me parle du projet. Je ne connaissais pas encore Adrien, je ne savais pas qu’il était saxophoniste et musicien ! Greg me demande d’abord si je connais des chanteurs avant de me proposer. Quand j’étais plus jeune, j’avais fait de la musique, du piano, du violon, de la flûte et je faisais partie d’une chorale. J’ai donc envoyé un test vocal en me disant « Advienne que pourra ! » C’était pour rigoler… et ça ne rigole plus ! (rires)
Après l’EP, un album est-il dans les tuyaux ?
Anaïs Aghayan : Il a été enregistré en partie. On aimerait sortir quelques titres. On en fait pas mal en live. Lors de notre concert à La Boule Noire, on en avait fait 14. Ce qui est amusant, c’est que le public présent lors de nos concerts nous demande souvent de faire une version de telle ou telle chanson ! On aimerait donc sortir très bientôt certaines chansons, même si l’album n’est pas encore fini. On va peut-être un second EP, sortir des singles, on n’a pas encore décidé de la formule. Idéalement, on aimerait sortir l’album au printemps 2023.
Adrien Soleiman : C’est une belle date. On va voir !
Photo Victor Picon
Propos recueillis par Thomas Destouches