Voilà déjà plus de dix ans que cette troupe mixte parisienne creuse son sillon entre funk, disco et French touch, en décalage total avec son époque.
Fluides et détendus, leurs tubes en puissance (citons par exemple Vanille fraise, construit sur un sample d’Anita Ward, ou Peur des filles et ses paroles piquantes) sont difficiles à situer dans l’espace-temps : c’est un véritable voyage en tapis volant que nous propose L’Impératrice sur ses deux premiers albums, Matahari (2018) et Tako Tsubo (2021), ainsi que sur ses innombrables EP sortis depuis 2012.
Le rêve se prolonge sur scène, loin de la grisaille de la réalité, lors de leurs shows marquants pendant lesquels la chanteuse Flore Benguigui partage volontiers les projecteurs avec ses cinq compères.
Dans votre musique, le groove a toujours une place très centrale. Comment structure-t-il vos morceaux : c’est la pièce finale ou la base de votre composition ?
David : Il y a plusieurs questions. Je pense que le groove, c’est quelque chose vers lequel on se tourne naturellement. En tout cas, on a une envie naturelle de groove qui est liée à la musique qu’on veut faire. Elle est très influencée des musiques dansantes et organiques des années 70 comme le disco, le funk, le jazz funk, etc. Le groove chez nous, c’est d’abord être six personnes qui jouent ensemble. Donc ça demande une rigueur : une rigueur de mise en place et ensuite une rigueur dans l’émotion, la sensualité et la générosité qu’on va mettre dans le jeu. La musique qu’on fait sans groove ne marche pas. Je trouve d’ailleurs que tous les morceaux un peu disco qui ne groovent pas du tout, – tu sais il y a eu une période disco très froide-, pour moi, c’est moins intéressant. On retrouve moins cette envie de danser. Notre musique participe à cette envie de danser et de faire danser. Pendant longtemps, on a commencé les morceaux avec une batterie ou une ligne de basse. C’étaient les premières idées et ensuite, on allait chercher des accords autour. En tout cas, il y a vraiment une volonté de mettre la basse en avant. Et quel est le meilleur instrument que la basse pour définir le groove. Après le groove, c’est partout. C’est dans la voix, dans une histoire de placement aussi. Mais je pense que si on devait généraliser, c’est vraiment une question de sensualité et de danse qui est dans chacun de nos morceaux.
Comment estimez vous que votre musique évolue, ne serait-ce que depuis Matahari en 2018?
Hagni : Ce qui a changé est beaucoup venu avec la tournée et les voyages. Et après le premier album, Matahari, on a eu la chance de pouvoir pas mal voyager, de visiter beaucoup de pays et surtout d’autres continents dont l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale. Etant donné que de base, on a beaucoup été influencé par des musiques venant justement d’Amérique du Nord, y aller a nourri et fait évoluer notre façon de digérer ces influences.
Justement, le dernier morceau, Earthquakes, a quelque chose de différent, et je n’arrive pas à mettre le doigt sur quoi.
Charles : C’est un morceau qui n’a pas été réfléchi dans un album, c’est peut-être ça qui donne une petite différence. Il se retrouve entre deux albums, un peu esseulé. Mais au fond, je ne pourrais pas dire la recette qui fait que ça sonne différemment.
Hagni : Dans la recette un peu inconsciente, il y a quelque chose de nouveau qu’on voulait tester. On est parti d’une base qui nous est assez proche pour mieux tester des nouveautés. On a testé une superposition de couleurs différentes, originales.
Comment avez-vous vécu les succès des dernières années entre Coachella et les Victoires de la musique ? Comment on se remet de ce tourbillon ? J’imagine qu’il y a un contrecoup.
Achille : Je pense que si on a envie de continuer, d’aller toujours plus loin et de repousser nos limites, ça nous donne la force pour ne jamais s’arrêter. Personnellement, je n’ai pas ressenti de tourbillon. Pour nous, c’était la continuité d’un truc.
Charles : On n’a pas forcément de recul dans ces moments-là, quand on est dans le chaudron. Je pense qu’on a eu la chance d’avoir une montée un peu progressive. On n’a pas eu vraiment de buzz, de truc qui nous a propulsé d’un seul coup. On n’a pas encore connu de creux, mais on verra comment ça se passera quand on en aura un. Et pour l’instant, on vit toujours sur cette vague de plaisir et de profiter de la chance qu’on a.
Flore : On ne s’est pas arrêté. Effectivement, il y a ce truc où on a enchaîné le premier album avec la tournée, puis le deuxième album, etc. Il y a eu le Covid qui a un peu été une pause, mais finalement pas tant que ça pour nous, parce qu’on était justement en train de finir l’album. Donc on a quand même été assez occupé. C’est vrai qu’il y a aussi ce truc-là qui empêche de prendre du recul : le fait que tout s’enchaîne tout le temps et qu’on a tout fait un peu à la force de nos mains. Moi, je n’étais pas là au tout début mais le groupe existe depuis plus de dix ans. Quand on regarde ça, ça fait longtemps qu’on est là et qu’on avance. On ne se dit pas « wow ! ». Tout s’est fait petit à petit : on a fait plein de petites salles, des petits festivals puis des gros festivals, mais sur des petites scènes, avant d’arriver comme maintenant sur la grande scène de Rock en Seine.
Votre musique a quelque chose qui a trait à retrouver une forme de légèreté et de festif. Ce n’est pas toujours évident ces dernières années. Comment, en 2023, on redonne de la légèreté ? Comment faites vous pour en trouver ?
Charles : Je pense qu’il faut énormément de sincérité pour véhiculer toujours ça, dans ce qu’on fait et prendre du plaisir à le faire. Tant qu’on aura ce plaisir, on aura cette légèreté.
Hagni : On essaie toujours de garder notre légèreté. Tous les jours, on se rend compte de la chance qu’on a de faire ce métier. On essaie de vraiment de continuer à s’amuser, de continuer d’avoir l’état d’esprit qu’on avait au tout début. Je pense que c’est aussi le fait qu’on se voit plus comme des entertainment que comme des artistes. Il y a cette notion de divertissement et c’est cool.
Propos recueillis par Alexandre Mathis
Crédits photos : Victor Picon