En un an à peine, le quatuor anglais a sorti un EP, un album (The Overload), enregistré en studio avec Elton John et creusé rapidement un sillon musical singulier et éclectique et où les textes livrent un discours social puissant, plein d’humour et d’ironie.
Quel effet ça fait d’être le premier groupe à ouvrir cette édition de Rock en Seine après deux éditions manquées pour cause de pandémie ?
James Smith : Déjà ça a vraiment l’air d’être un festival énorme. Quand on en parlait autour de nous, tout le monde avait l’air vraiment excité. Maintenant que nous sommes ici, nous comprenons pourquoi. Et le line up est incroyable. C’est bien pour nous d’ouvrir le festival comme ça on va pouvoir passer le reste de la journée à assister à des concerts ! Cela fait du bien d’être de retour, de faire de la scène.
Vous débutez votre premier album avec la chanson titre The Overload. Elle contient les paroles suivantes: « If you wanna make some decent money from it / You’d better off kicking / That dickhead singer you’ve got in out the band » Une sacrée introduction…
James Smith : Oui ! C’était autoréférentiel d’ailleurs. Une personne a dit ça à mon propos, alors que j’étais dans un autre groupe, après un concert dans un pub. Il a pris les membres du groupe à part et leur a dit qu’ils feraient mieux de se débarrasser de moi !
Jay Russell : Je ne savais pas !
Votre premier album est donc sorti en janvier. Quasiment un an jour pour jour après votre premier EP composé de singles. Quand on commence à se pencher sur un album complet, quel est l’état d’esprit ? On part avec l’idée d’en faire une œuvre cohérente ou bien on prend les choses comme elles viennent ?
James Smith : On se met dans l’idée d’en faire une œuvre cohérente. C’est d’ailleurs pour cela que nos premiers singles n’y figurent pas. Ils ne correspondaient pas exactement à ce qu’on voulait faire. Donc pour cet album on a écrit pleins de chansons et on a ensuite sélectionné celles qui semblaient fonctionner ensemble, dont les thèmes se répondaient. Puis on en a écrit d’autres pour que tout soit exactement connecté. De mon point de vue c’est une bonne méthode pour faire un album.
Jay Russell : De notre point de vue, un album doit être une œuvre complète du début à la fin et non pas une collection de chansons les unes après les autres.
Avez-vous en tête des albums qui sont des œuvres complètes et cohérentes ?
James Smith : Plastic Beach de Gorillaz ! Un vrai concept album du début à la fin, où les chansons se répondent. Le premier et le tout dernier album d’Arctic Monkeys racontent aussi des histoires. Ce qui est absolument passionnant, c’est de se rappeler que le format album est à l’origine déterminé par la durée physique qu’un disque pouvait contenir. Il fallait alors déterminer quelles chansons mettre sur telle ou telle face du vinyle. Ces limitations ont été une bonne source de création. Regardez ce qu’en ont fait les Pink Floyd !
Entre les singles et l’album, il semble y avoir une évolution dans vos paroles. L’inspiration est la même, l’observation sociale également, mais si l’ironie est toujours là, le cynisme non. Il n’y a qu’à lire les paroles de la chanson « Rich ». Est-ce une évolution consciente ?
James Smith : Oui, bien sûr ! Quand on débute avec un groupe, personne ne sait qui vous êtes. Naturellement vous êtes un peu sur vos gardes, il n’y a pas encore cette confiance entre le groupe et le public. Vous n’êtes pas forcément encore prêt à vous montrer vulnérable. En avançant dans notre carrière avec le groupe, en voyant que des gens nous écoutaient et commençaient à nous suivre vraiment, ça nous a encouragé à nous dévoiler un peu plus. Cette évolution est particulièrement visible dans la seconde partie de notre album. Il s’ouvre un peu plus vers l’émotion, la vulnérabilité. Jusqu’alors nous n’étions pas vraiment prêts. Cela vient vraiment de la confiance insufflée par le public. Nous sommes particulièrement fiers, chanceux et conscients de cela. Cela n’arrive pas à tous les groupes et c’est peut-être pour cela que beaucoup d’entre eux sont en colère ! (rires)
Vos chansons ont toujours cette dimension comique et humoristique. Ce sont des aspects indissociables de Yard Act ?
James Smith : On vient de passer quatre heures dans notre van à regarder la série comique anglaise The Fast Show ! Notre amitié doit beaucoup à l’humour.
Jay Russell : On se marre tout le temps ensemble. Que ce soit lors des répétitions ou dans notre van. Du réveil jusqu’au coucher, on essaie en gros de se faire rire tout le temps. C’est une grosse partie de nous-mêmes et, de fait, de notre musique. C’est aussi peut-être pour cela que le public se connecte avec nous. Mais on est conscients aussi qu’il ne faut pas qu’on devienne une blague nous-mêmes ! C’est la limite.
Vos chansons ont une dimension sociale, un point de vue sur la société et la vie. Transmettre ce message à travers les paroles n’est pas aisée. Mais on peut entendre et lire les textes. Comment est-ce que la musique vient compléter, inspirer aussi cette dimension sociétale ?
James Smith : C’est une super question !
Jay Russell : Les paroles et la musique sont tellement liées… La musique prend le pouls des paroles de James et quand il ne chante pas la musique prend le relais et une autre dimension. C’est encore plus vrai en concert.
James Smith : C’est une relation de symbiose. Je dois les écouter comme ils m’écoutent. Et oui, je suis d’accord, c’est encore plus vrai et différent en concert. Quand on conçoit l’album, la musique est une sorte de lit pour les paroles. Mais en concert, le groupe, les musiciens brillent tellement plus. Là encore, en studio ou sur scène, c’est une relation de confiance entre tous les membres. C’est aussi savoir quand se mettre en avant et quand se mettre en retrait, quand il faut écouter l’un ou l’autre, quand il faut aussi changer l’humeur de la personne qui écoute alors les paroles. C’est de la manipulation, presque de la magie !
Vous jouez de la musique depuis longtemps mais Yard Act est encore un jeune groupe. Vous avez sorti votre premier album en janvier, après avoir signé dans une grosse maison de disque. Et ce disque a connu des ventes record. Cela doit créer un peu de pression peut-être. Par ailleurs beaucoup de célébrités ont déclaré adorer Yard Act… Il y a un thème qui revient dans votre musique mais aussi dans vos interviews : ne pas oublier d’où vous venez. Alors, après tout ce qui vous arrive depuis un an, comment faites-vous pour ne pas l’oublier ?
James Smith : Honnêtement je ne pense pas que nous soyons déjà au stade où il faut s’inquiéter de cela ! Notre vie de tous les jours n’a pas changé tant que ça, si ce n’est qu’on est moins souvent à la maison. J’emmène toujours mes enfants à l’aire de jeu.
Jay Russell : Pour moi, le fait de faire une tournée, de parcourir beaucoup l’Europe, amplifie encore plus ma réalisation, ma vision des problèmes quand on rentre au pays !
James Smith : Nous sommes conscients de ce nous avons fait depuis le début. Nous avons atteint un niveau de stabilité financière que nous n’avions jamais connu avant. Mais nous n’avons pas atteint un niveau de célébrité qui change notre vie. Et nous n’avons jamais travaillé pour atteindre la célébrité. Nous ne nous sommes pas lancés dans la musique pour ça. Nous faisons de la musique pour nous exprimer. L’industrie musicale est bien le dernier endroit au monde pour atteindre la sécurité financière ! (rires)
Vous avez récemment réenregistré une version de votre chanson « 100% Endurance » avec Elton John. Comment cette collaboration a vu le jour ?
James Smith : Il a commencé à nous mentionner dans la presse. Donc on a fait une reprise de Tiny Dancer, pour avoir son attention, on ne va pas se mentir ! (rires) Et ça a fonctionné puisqu’il a chopé mon numéro et m’a appelé. On a commencé un peu à échanger tous les deux. Et puis on lui a demandé s’il voulait faire une chanson avec nous. Il a accepté ! On a donc passé une après-midi à Londres en studio avec lui.
Le premier album est encore frais mais quand est-ce qu’on peut attendre le prochain ?
James Smith : En fin d’année prochaine !
Propos recueillis par Thomas Destouches
Crédit photo : Olivier Hoffschir