« C’est ça qu’il faut, y’a que ça qu’il faut… que tu restes collé au vent, collé au vent, collé au vent quoi, et que tu te battes, que tu fasses aucune concession sur le reste ».
Si ces mots vous sont familiers, c’est parce que vous connaissez déjà le titre « Bora Vocal » de Rone. En 2008, le producteur français sort son premier EP, Bora, sur le label Infiné. Parmi la poignée de titres du maxi, le premier retient l’attention. Et pour cause, par-dessus le beat entêtant du morceau, on peut entendre la voix d’Alain Damasio, écrivain français de science-fiction qui s’adresse à lui-même par le biais d’un bon vieux dictaphone, se persuadant, se conseillant, s’exhortant parfois, comme une prière enflammée au potentiel de l’être.
« C’est pour moi un morceau important pour plein de raisons […] Cette voix que j’utilise c’est un peu à son insu parce que j’ai récupéré ses petites cassettes de dictaphone lorsqu’il était en train d’écrire La Horde du Contrevent, son deuxième roman », explique Erwan Castex, aka Rone, dans une interview à French Waves en 2017.
Nous sommes en 2004. A ce moment-là, Alain Damasio se lance dans l’écriture d’un second roman après La Zone du Dehors en 1999. Alors qu’il s’est reclus en Corse pendant neuf mois pour composer son second roman, il sent le besoin de tenir une sorte de journal intime audio pour lutter contre le démon de la solitude. Dès la sortie de l’EP, en 2008, Rone raconte au blog Kamunke à quel point ces fragments audio d’auto-persuasion ont fait écho à son propre rapport au processus de création artistique :
« Sur ces enregistrements, étranges et fascinants, il se donne des conseils pour le futur (du genre « n’oublie jamais… » ou « souviens toi plus tard… »). Il y a des moments durs, de découragements, et des moments d’énergie pur, d’enthousiasme, de puissance, comme sur l’extrait que j’ai utilisé sur « Bora » et qui me touche encore beaucoup. »
Alors que Rone est encore un tout jeune musicien, ces paroles le frappent : l’isolement dont il est question doit se transformer en force créatrice, en souffle bâtisseur. « Damasio me disait : « Le problème ce n’est pas l’inspiration, c’est l’expiration » et c’est vrai : notre œuvre préexiste en nous. Le problème consiste à la découvrir », dit-il encore au blog Kamunke.
Pour l’écrivain, l’emploi d’un tel document de travail est alors inédit : « C’est juste un moment d’auto-exaltation, je ne comprenais même pas l’intérêt [que Rone s’en serve] ! Je lui ai envoyé, même si je ne voyais pas l’intérêt ». Mais le succès du morceau et l’effet qu’il produit sur le public le laissent encore béat, comme il le confie à French Waves : « J’ai été hyper surpris de la réaction des gens, je suis encore surpris aujourd’hui des retours : plein de gens m’envoient des mails ou viennent me voir et m’expliquent qu’il m’ont découvert grâce à ce morceau, ce morceau a changé ma vie, il m’a totalement réveillé ».
Rone a en quelque sorte rendu l’ascenseur à l’écrivain, en janvier 2017, lorsqu’il l’a convié sur scène avec lui lors d’un concert unique à la Philharmonie de Paris. S’il faut encore le dire, La Horde du Contrevent est un merveilleux ouvrage de science-fiction, choral et politique, ambitieux et original. Une source d’inspiration que l’on conseille à l’artiste qui sommeille en vous tous.
Théo Chapuis