Avec leur nouvel album, Somersault, Beach Fossils élargit sa palette sonore et d’instruments élaborés (cordes, saxophone, clavecin…). Ce groupe de Brooklyn est en ascension permanente depuis sa fondation en 2009.
Trois ans ont passé depuis le dernier disque. Vous avez décidé, parce que vous le pouviez, de prendre votre temps pour le faire.
Dustin Payseur : « C’était en effet un processus long. C’était cool d’avoir cette liberté de simplement écrire puis de tout mettre à la poubelle. Si on est sous la pression d’une deadline, on n’a pas ce loisir, chaque chose que l’on enregistre doit être parfaite à un moment précis. Pourtant cette liberté est capitale pour moi. En fait, je pense que chaque artiste devrait concevoir un disque comme une sorte de carnet de croquis. La seule manière de pouvoir vivre cela est de s’octroyer ce temps. »
Mais n’avez-vous pas parfois la tentation de revenir sur une chanson deux mois après l’avoir enregistré ?
Jack Doyle Smith : « Pour cet album, on a enregistré des tonnes de chansons. On a même pensé à un moment détenir l’album… avant de tout recommencer. On a littéralement fait ça ! »
Dustin Payseur : « Mais des éléments de ces chansons ont été réutilisés d’une manière ou d’une autre. Comme je le disais : un album c’est comme un carnet de croquis que l’on remplit au fur et à mesure. On y ajoute des éléments, on en développe certains, on efface. On n’y aime pas forcément tout mais on en retire des idées. »
Tommy Davidson : « On a parfois mis 5 mois à écrire certaines chansons. D’autres ont été créées en l’espace de quelques jours à peine. »
Cette liberté de conception et d’enregistrement a aussi inspiré votre musique…
Dustin Payseur : « Complètement ! Je n’aime pas aller en studio. C’est une expérience vraiment bizarre. C’est pour cela qu’on aime avoir notre propre studio d’enregistrement. C’est le lieu principal où on crée tout, et on va dans d’autres endroits pour expérimenter. C’est notre choix, notre façon de faire. Un peintre ne réalise pas un tableau pour aller ensuite le soumettre à une batterie de gens pour le compléter, le recréer, ou y rajouter des couleurs ! Je ne veux pas qu’une autre personne contrôle notre façon de créer. »
Grâce à cette liberté, vous avez également exploré d’autres sonorités et instruments.
Dustin Payseur : « J’écoute beaucoup de musique classique et de jazz. Quand j’y entends un instrument qui m’intéresse, j’ai envie de le réutiliser. Parfois en écoutant un disque, je me dis « Je veux ce son ! » Je ne sais pas comment l’obtenir, je ne sais pas jouer de cet instrument mais je vais me débrouiller pour l’avoir. »
Tommy Davidson : « Et puis on ne voulait pas faire à nouveau le même album avec une guitare, une basse, une batterie… Nous écoutons des tas de musiques différentes qui nous inspirent. Et on voulait que ce disque reflète tout cela. »
Vous avez déclaré que « Somersault » était le disque que vous aviez toujours rêvé de faire. Que fait-on après cela ?
Jack Doyle Smith : « C’est plutôt inspirant de l’avoir enfin sorti d’une certaine manière ! »
Dustin Payseur : « Mais j’ai aussi eu ce sentiment après chacun de nos albums. C’est un challenge personnel : je veux toujours faire un disque que je n’ai pas fait avant, un album totalement nouveau. »
Est-ce que, plus vous faites de disques, plus vous vous rapprochez dans l’écriture d’une forme de simplicité, d’une émotion pure que vous ressentez ?
Dustin Payseur : « J’ai toujours écrit à propos des mêmes thèmes mais à chaque fois selon des angles différents. L’amitié a toujours été une thématique importante, comme les relations, la mort ou la dépression. Le premier album était plus joyeux et lumineux alors qu’il correspondait justement à la période la plus déprimante de ma vie ! J’avais besoin de créer une sorte d’univers fantasmé pour m’y réfugier. Le dernier album est irrigué par les mêmes sentiments mais au lieu de me réfugier, j’en parle directement. »
Votre album a aussi un discours politique sous-jacent…
Jack Doyle Smith : « C’est difficile en réalité de ne pas avoir de discours politique dans le contexte actuel. »
Dustin Payseur : « On avait terminé toute la partie musicale du disque. On n’avait pas encore posé ou trouvé les paroles pour toutes les chansons. On avait besoin de ces textes. Et c’était justement au moment des élections présidentielles américaines… J’ai écrit les paroles de Saint Ivy le lendemain de l’élection de Trump. Je ne savais pas quoi penser, ni ressentir. Du coup, la chanson reflète cela. On vit dans un monde totalement insensé. On voit des manifestations de gens qui véhiculent les idées les plus sombres. C’est incroyable d’en être témoin. J’ai l’impression parfois d’avoir devant moi un livre d’histoire et d’être profondément choqué face à tout cela. Je ne peux m’empêcher d’être optimiste mais… Je crois au progrès. Si on regarde où on en était il y a 50 ans, il y a de vraies avancées, de l’inclusion, de l’acceptation de la diversité. Parfois je crois en l’être humain. Et parfois je me dis que nous sommes mûrs pour que l’intelligence artificielle se soulève et éradique les Humains de cette planète ! »
Propos recueillis par Thomas Destouches