Uzi Freyja : « À travers mon travail, je me réveille, je prends conscience de qui je suis »
Un jour de 2019 dans les rues de Nantes, deux artistes se croisent dans le cadre d’un open mic. Elle, c’est Kelly Rose, une Parisienne anglophone d’origine camerounaise, qui a grandi dans une famille de musiciens. Lui, c’est Stuntman5, pseudo de Christian Bagnalasta, passionné d’electro et de hip-hop, aussi habile à la guitare qu’aux claviers et aux samplers. Leur rencontre débouche sur une évidence : ces deux artistes sur la même longueur d’onde doivent absolument faire de la musique ensemble.
Le résultat, sensuel en diable, aussi volcanique qu’engagé, rappelle des productions de Death Grips ou Ho99o9.
Les premiers EP de ce duo mixte ont donné le ton pour des concerts sans concession, qui réconcilient les amateurs de clubbing avec les fans de rap. Percutant et communicatif.
Rencontre.
Black est vraiment un des meilleurs morceaux de l’année !
Oh merci, ça me touche ! En live, on le fait de manière… oulala ! (rire) D’ailleurs j’avais peur de le jouer à 15h20 pour le style de musique qu’on fait, avec apparemment au vu de l’énergie que je dégagerais. Mais pleins de gens se sont ramenés, super gentils, qui étaient à fond sur Black justement.
Ta musique raconte quelque chose sur la fierté, la prise de pouvoir individuelle et collective. C’était la base du projet ou ça s’est greffé en cours ?
C’est un truc d’éclate, pas juste pour la fête, plutôt au sens où je me libère de quelque chose, d’un truc que je ne pourrais jamais dire, jamais exprimer. C’est dur aujourd’hui de dire ce que tu penses, ça peut être mal interprété. Regarde, mon compte Instagram a sauté alors que je n’ai rien fait de spécial. C’est au fur-et-à-mesure que je faisais de la musique et que les gens s’identifiaient à elle que je me suis dit qu’en fin de compte, à travers mon travail, je me réveille, je prends conscience de qui je suis.
Et alors, tu es qui ?
Je suis juste une meuf tarée qui aiment bouger ses fesses sur scène [rires]. Et je chante de temps en temps. Je ne peux pas dire qui je suis à 100% mais je me rends compte que j’ai plus à offrir que ce que je faisais avant. De discuter avec toi, avec les gens, d’accomplir ce que j’ai fait avec mon entourage, c’est incroyable. Je me nourris pas mal des choses que je vois et de ce que les gens me donnent. Ça doit se rapprocher de ce qui me ressemble, de mes cultures. Je ne dois pas me lasser de ce que je chante. Et je suis quelqu’un qui s’ennuie très vite [rire].
Pardon, j’insiste mais il y a quand même des choses revendiquées, dans N-Lies par exemple.
Par rapport à mon corps, à ma sexualité oui. J’ai appris récemment qu’il y a 80% de femmes noires qui sont susceptibles de se faire harceler sur les réseaux sociaux à propos de leur corps. Quand tu es un femme tout court, tu y as droit. Quand tu es noire, ça s’amplifie. En plus, je suis une femme ronde. Sexuellement, soit tu deviens un défi, soit tu deviens une expérience, soit un « ouais pourquoi pas ». J’ai envie de revendiquer que c’est moi qui décide, que, non, je ne suis pas un « ouais pourquoi pas. Est-ce que tu te souviens de ce que tu as fait à mon corps ? » On stigmatise trop le sexe aujourd’hui et pas pour ce qu’il a de meilleur. Avant de dire « t’es une catin », souviens-toi que c’est juste du sexe. Pour que tu existes, tes parents ont dû faire du sexe, donc si tu blâmes le sexe, ça veut dire que tu blâmes ta naissance.
Les femmes noires sont aussi celles qui ont le moins de matchs sur les applis comme Tinder.
Je suis sur Tinder, même pas tellement pour rencontrer car je suis toujours en tournée. Mais je veux parler à des gens. Et je me suis vite rendu compte que je n’ai pas beaucoup de matchs. Je me suis demandé un moment si c’était moi qui étais éclatée au sol [rire]. Après, je sais qu’il y a aussi le côté algorithme qui joue. Maintenant, je vois les choses autrement : j’ai mon chat qui m’aime quand je le nourris.
Comment s’est passé la rencontre artistique avec Stuntman5 et comment travaillez-vous ?
On s’est rencontré à un open-mic en 2019 en bas de sa maison à Nantes. Il m’a invité pour qu’on parle de musique. Au début, ça ne devait pas aller plus loin. Finalement, on a créé un truc sans trop savoir où ça nous mènerait, avant d’avoir un label fin 2021. C’est passé tellement vite que je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait, je n’ai pris conscience de l’ampleur des choses que cette année. Sur notre manière de travailler, je lui envoie des mélodies et à travers elles, il crée une musique. C’est un vrai travail d’équipe. Mais il est très occupé : il a un emploi qui lui prend du temps, une vie familiale, du coup, je ne vais plus continuer avec lui, notamment pour la scène. Mais il reste derrière musicalement, un peu comme un producteur. Alors que moi j’ai vraiment qu’un chat, j’ai du temps. [rire]
Propos recueillis par Alexandre Mathis
Crédits photos : Olivier Hoffschir